Silvio Lorusso
25.05.2022
Fake it till you make it
Entreprise précaire ou précaire esprit d’entreprendre
Ce texte est la traduction d’un fragment du livre Entreprecariat, Everyone is an entrepreneur. Nobody is safe, dans lequel l’artiste Silvio Lorusso cherche à définir ce qu’est l’entreprécariat, un néologisme issu des mots entrepreneuriat et précariat. Il expose ici comment la pensée entrepreneuriale n’est plus uniquement l’apanage des entrepreneurs, mais a désormais infusé au sein de la société et des individus, modelant leur comportements.
À première vue, le principal dénominateur commun du grand segment démographique que l’on appelle les Millennials est la technologie. Ceux qui sont nés entre 1980 et 2000 sont les premiers à avoir pleinement vécu la révolution numérique, et en commémorent déjà avec nostalgie les débuts. Pourtant, il y a un autre aspect qui distingue cette génération des précédentes. Alors que les baby-boomers ont pu compter sur une carrière stable et que la génération X s’est plainte des limites de ce mode de vie, pour les Millennials, une vie professionnelle continue est irréaliste, voire dépassée. C’est l’idée même d’une carrière qui vacille face à un horizon commun caractérisé par une incertitude constante. Ceux qui ont maintenant vingt ou trente ans sont intimement conscients que le centre de gravité de leur identité professionnelle se situe en eux-mêmes, plutôt que dans les entreprises avec lesquelles ils collaborent temporairement. C’est ce que l’anthropologue Ilana Gershon appelle la « quitting economy » [l’économie de la démission] : une économie basée, si l’on a de la chance, sur la possibilité de passer librement ou semi-librement d’un emploi à un autre. Les Millennials créent eux-mêmes leurs propres entreprises, conformément à la vision de Ludwig von Mises, économiste autrichien et champion du marché libre, selon lequel « dans toute économie réelle et vivante, chaque acteur est un entrepreneur et un spéculateur […] »1.
Mais que signifie être entrepreneur sans avoir de véritable entreprise à gérer ? Comme nous l’avons vu précédemment, pour le jeune Schumpeter, les entrepreneurs étaient une espèce rare et au sommet de la pyramide sociale en raison de sa précieuse capacité à innover. Partant de prémisses similaires, le gourou du management Peter Drucker a affirmé que pour accélérer l’innovation, la société dans son ensemble devait devenir entrepreneuriale, en se débarrassant de ce frein au progrès qu’est l’emploi permanent. La vision de Drucker est aujourd’hui une réalité : face à l’insécurité économique et professionnelle généralisée, la pyramide de Schumpeter a été inversée, ou plutôt, elle s’est désintégrée et ses décombres sont partout. Chacun est appelé — ou contraint — à la libre entreprise (même les salariés, comme le suggère le concept d’intrapreneur2). C’est le sens général de ce que nous appelons l’entreprécariat.
Entrepreneuriat vs esprit entrepreneurial.
Comme indiqué précédemment, lorsque l’esprit entrepreneurial [entrepreneurial spirit] atteint les gens, l’entrepreneuriat [entrepreneurship] devient l’entrepreneurialisme [entrepreneurialism]3. Une pratique spécifique devient un sens commun. Alors que par entrepreneuriat, nous entendons la pratique consistant à créer et à gérer une entreprise en prenant un certain risque, l’entrepreneurialisme correspond plutôt à un système de valeurs renforcé par une colonisation du langage qui se produit dans le discours médiatique et son internalisation individuelle. L’entrepreneurialisme loue l’initiative, l’action et le risque individuel, les assimilant à l’autonomie et à la liberté — une vision néanmoins paradoxale de l’indépendance, car celle-ci génère davantage de contraintes. L’entrepreneurialisme exige également ce que Laura Bazzicalupo appelle « l’intentionnalité stratégique libre et passionnée ». Il s’ensuit que, pour reprendre les termes optimistes de Bob Aubrey, professeur expert en développement humain, « en ce qui concerne l’entreprise de soi, le positionnement est l’identité que vous occupez sur un marché ». La rhétorique entrepreneuriale nous confronte toutefois à un paradoxe : tout en traitant les différents Elon Musk comme des sujets sui generis [uniques en leur genre], elle nous pousse à imiter leur caractère et leurs habitudes, transformant leur autodiscipline — régime hebdomadaire, heures de sommeil accordées, etc. — en un fétiche. La dévotion entrepreneuriale aboutit ainsi à un exercice irréfléchi de développement personnel.
Cette pression exercée sur l’individu a des retombées psychologiques, émotionnelles et affectives. Fake it till you make it est une expression qui incarne la crise existentielle de l’entreprecariat. Dans un contexte strictement entrepreneurial, ce slogan est utilisé pour simuler l’existence d’un produit afin d’obtenir le financement nécessaire à sa réalisation. A l’inverse, en termes de psychologie populaire, le slogan suggère de faire semblant d’être heureux jusqu’à ce qu’on le soit vraiment. En mélangeant les deux significations, les individus deviennent un produit incomplet en constante optimisation qui recourt à un optimisme ostentatoire pour se présenter comme autonomes aux yeux des autres (et d’eux-mêmes), dans l’espoir de le devenir. Même s’il est vrai qu’ils sont maîtres de leurs décisions, la responsabilité de leurs échecs n’incombe alors qu’à eux-mêmes.
En chantant les louanges de l’innovation, ou d’un changement continu qui coïncide avec un phénomène naturel et sain, l’entrepreneurialisme encourage la précarité et active délibérément les mécanismes de précarisation. « Nous sommes faits pour changer » — comme le mentionnait récemment une publicité IKEA. Nous comprenons enfin le chef d’œuvre de l’entrepreneurialisme : avoir fait de l’incertitude sociale une ontologie, comme le déclarent Chicchi et Simone4. De son côté, la précarité trouve dans l’élan entrepreneurial l’une des rares voies de sortie de sa condition. Et pour ceux qui n’y trouvent ni travail ni satisfaction, la réponse consiste à devenir des entrepreneurs au sens large, ou à gérer leur identité professionnelle (qui n’est pas si différente de l’identité dans son ensemble) dans une apparente autonomie. L’entrepreneurialisme génère la précarité, qui à son tour requiert l’entrepreneurialisme. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le cercle vicieux de l’entreprécariat. « L’entrepreneurialisation du travail n’est rien d’autre que l’autre face, fictivement vendue comme positive et créative, du processus de précarisation du travail salarié », poursuivent les sociologues italiens. Si l’entrepreneurialisme [entrepreneurialism] et la précarité se mélangent et donnent forme à une expérience non-différenciée où l’on ne sait plus où finit l’un et où commence l’autre, l’entreprécariat vise à les distinguer, c’est-à-dire à enlever le voile entrepreneurial qui entoure la question de la précarité ; tout en décryptant l’instrumentalisation de l’entrepreneuriat pour faire face aux processus de précarisation. C’est pourquoi, plutôt qu’une classe ou une catégorie statique, l’entreprécariat désigne à la fois un champ de forces et une méthode pour le rendre lisible.
La « Phrénologie d’un entrepreneur », présentée par le consultant en management David Binetti en 2011 lors de la conférence Startup Lessons Learned. Binetti critiquait la tendance des entrepreneurs à créer leur propre réalité et leur manque de patience.
Comme preuve passionnante de la qualité de la logique entrepreneuriale, voici une liste des différents mots valises anglais trouvés en ligne qui incluent le terme entrepreneur :
kidtrepreneur,
momtrepreneur,
wifetrepreneur,
sofapreneur,
pastorpreneur,
girltrepreneur,
teentrepreneur,
wantrepreneur,
ontrepreneur,
solopreneur,
filmtrepreneur,
dadtrepreneur,
nontrepreneur,
untrepreneur,
designtrepreneur,
foodtrepreneur,
lawtrepreneur,
contrepreneur,
cantrepreneur,
artrepreneur,
apptrepreneur,
ecotrepreneur,
altrepreneur,
femtrepreneur,
philantrepreneur,
punktrepreneur,
youngtrepreneur,
funtrepreneur,
learntrepreneur,
greentrepreneur,
dronetrepreneur,
botrepreneur,
salontrepreneur.
Il est intéressant de souligner la figure du wantrepreneur (ndt : want = vouloir), qui aspire à devenir un entrepreneur, du solopreneur qui dirige sa propre entreprise à titre individuel, et du funtrepreneur (ndt : fun = amusant), pour qui l’entrepreneuriat est un hobby, un simple amusement.
Selon Sennett5, la réussite entrepreneuriale revient à ceux qui sont capables de tolérer la fragmentation et de se sentir à l’aise dans l’instabilité, en naviguant avec ferveur dans des scénarios changeants. La perspective précaire est caractérisée par des sentiments opposés : il sagit d’une perception et de l’expression d’un malaise et d'une désorientation. L’entrepreneurialisme et la précarité sont cependant des façons de faire face au changement : le premier l’aborde avec enthousiasme, le second avec peur ou insatisfaction. Mais l’entrepreneuriat, avec son approche proactive et donc apparemment constructive, délégitime les revendications du précariat. Non seulement l’entrepreneurialisme nie et diminue l’inconfort de la situation précaire, mais il n’admet pas non plus ses raisons : il n’y a rien à craindre, le risque est bon pour vous. Pourtant, cette attitude face au changement n’est pas elle-même immuable. Le Forum Économique Mondial, qui représentait pour Sennett la faune idéale des acteurs du changement, s’est transformé, comme le prétend Foti, en un symposium à la recherche d’une âme. Parmi les différents invités de Davos, Guy Standing a fait un discours alarmant de la colère croissante du précariat, accompagné d’autres présentations dont les titres ne sont certainement pas rassurants ; des titres tels que « Un rêve différé » par Christine Lagarde, directrice générale du Fonds Monétaire International. (FMI)6.
De retour parmi le commun des mortels, nous rencontrons le styliste qui paie son loyer en faisant des livraisons à domicile ou le sans-emploi qui se qualifie lui-même de « startupper » dans la signature de son mail. Mais la figure que l’on croise rarement est celle qui adopte ouvertement le point de vue de la précarité, tant cette étiquette contredit l’obligation à afficher un statut d’entrepreneur. Qui serait prêt à renoncer à afficher publiquement un statut dont on peut espérer qu’il se matérialise un jour sur le plan économique ? Ce qui caractérise l’impasse professionnelle (et donc existentielle) actuelle, c’est une dissonance cognitive généralisée. Une condition similaire à ce que Raffaele Alberto Ventura appelle la « dysphorie de classe ». Si pour Ventura, la classe moyenne se sent riche même en étant destinée à la pauvreté, les membres de l’entreprécariat doivent se montrer comme des individus riches de potentiel afin d’exprimer leurs capacités au vu de la pénurie croissante d’opportunités.
Ceci dit, les subdivisions du précariat identifiées par Foti7 ont un rapport différent à l’impératif entrepreneurial. La catégorie des créatifs adhère sans ambiguïté à la logique entrepreneuriale ; comme en témoigne un récent livre à destination des nouveaux diplômés en design intitulé Don’t get a job… Make a Job: How to Make it as a Creative Graduate (Ne cherche pas de travail… crée ton travail : comment faire en tant que diplomé créatif). La formule des stages alimente de manière perverse l’illusion d’autonomie du créatif précaire : bien qu’ils soient souvent non rémunérés ou sous-payés, les stages sont considérés comme un investissement dans l’entreprise de soi. La catégorie des services (composée de barman, serveurs, baby-sitter…) répond à des logiques similaires car ces emplois constituent souvent une source de revenus pour financer une carrière dans les industries dites créatives. Les sans-emploi, quant à eux, sont incités de manière paternaliste par l’État à entreprendre, à prendre en main leur destin, à devenir des citoyens actifs.
Enfin, il y a la nouvelle classe ouvrière, composée entre autres, des travailleurs de la logistique. C’est le groupe qui est peut-être le moins exposé au régime auto-entrepreneurial parce que, comme Schumpeter le dit, ils sont trop occupés à essayer de ne pas périr. En ce sens, l’entreprécarité est un peu une condition privilégiée car seule une minorité de travailleurs précaires est autorisée à avoir de réelles ambitions entrepreneuriales ou auto-entrepreneuriales. Pour le reste, l’entreprécariat est le signe de la fusion de l’économie et du politique, ou plus précisément, la dissolution du politique dans l’économique. La précarité structurelle que les politiques sont incapables de prévenir ou de résoudre est reformulée en un appel à ce que les individus se commercialisent eux-mêmes, une invitation obligatoire à agir. À la fin des années 1970, l’historien Christopher Lasch laissait entrevoir une mutation anthropologique : l’Homme économique a quitté la pièce pour l’Homme psychologique. De nos jours, l’entreprécariat, en prescrivant une attitude individuelle basée sur un positionnement stratégique, a donné naissance à un Homme économiquement psychologique.
Une bureaucratie de l’individu
De nos jours, l’email, moyen de communication qui est plus enduré qu’employé, est devenu le symbole de la dimension administrative du travail effectué par le biais des dispositifs numériques. L’inbox zero8 est le mirage vivant du « sujet administratif ordinaire » (pour reprendre une expression de l’auteur Michel Houellbecq). En réalité, le sujet administratif est tel qu’il est administré par les tâches qu’il doit accomplir. Les victimes de la précarité se trouvant confinées dans une auto-administration toujours plus grande. C’est aussi pour cette raison qu’elles sont exposées aux sirènes de l’entrepreneuriat, qui se présente comme une alternative à cette horreur bureaucratique avec ses promesses de réalisation de soi, d’autonomie et, finalement, de liberté9.
Image trouvée d’un chien portant sa propre laisse. Une allégorie appropriée de la liberté comme auto-subjugation promue par l’entrepreneurialisme.
L’entrepreneurialisme, c’est le rêve de réalisation professionnelle, qui est la seule réalisation imaginable, mais aussi le sentiment d’agir, de contrôler, d’être maître de son propre destin. C’est ainsi qu’il devient un symbole du statut social, tout comme il devient le stakhanovisme typique du culte de l’entrepreneur. La promesse est cependant frauduleuse puisque l’entreprise de soi est nécessairement dépendante de la dimension intrinsèque du risque de libre entreprise. Risquer, c’est gérer en permanence le risque. Par conséquent, la réalisation de soi n’est rien d’autre qu’un amalgame de vocation et de gestion économique, une forme radicale d’auto-administration. En d’autres termes, comme l’affirment Michael Hardt et Toni Negri10, il s'agit d’une bureaucratie de l’individu. Selon Foti, la précarité signifie à la fois exploitation et libération.
La logique de l’entreprécariat est plus subtile, elle est avant tout une vision du monde, une interprétation de la réalité qui oriente les comportements. En combinant l’exploitation et la libération, l’entreprécariat constitue une exploitation de la libération. La liberté illusoire offerte par un travail sans droit du travail ou par un titre qui ne produit aucun revenu mais seulement des avantages symboliques est en réalité une cage plus étroite, une cage dans laquelle chacun doit administrer sans relâche ses propres paris sur le futur, une cage dans laquelle l’action spéculative est incontournable.
Vers un entrepreneuriat de la multitude ?
En plus de la dimension existentielle de l’entreprécariat, l’influence mutuelle entre l’entrepreneuriat et la précarité dans les relations économiques, contractuelles et sociales peut être remarquée plus concrètement. Au Royaume-Uni par exemple, les coursiers du syndicat des indépendants IWGB (Independant Workers Union of Great Britain), à la botte de la gig economy, revendiquent leurs droits en déclarant : « nous ne sommes pas des entrepreneurs ». Aux États-Unis, se répand maintenant ce qu’appelle Paolo Mossetti l’entrepreneuriat du désespoir. Un nombre croissant de familles sont obligées de parier sur le financement participatif pour soutenir leurs dépenses médicales, inventant des campagnes qui requièrent des compétences managériales et une maîtrise d’internet. Au Japon, les employés sans contrat à durée déterminée qui cumulent plusieurs petits emplois sont appelés « freeters » — un néologisme qui combine le mot anglais free (gratuit) avec le mot allemand arbeiter (travail). En Italie, on assiste aux déboires du popolo delle partite IVA (littéralement « les gens de la TVA »), dont les membres ne sont souvent indépendants que sur le papier, tandis que se multiplient les programmes étatiques pour convertir les NEETs (jeunes personnes qui n’ont pas de travail et qui ont arrêté d’en chercher un) en startuppers passionnés11. Enfin, il faut reconnaître qu’il existe certaines positions militantes dans le domaine de l’entreprécariat. Dans son récent Non è lavoro, è sfruttamento (« Ce n’est pas du travail c’est de l’exploitation »), Marta Fana dresse un portrait lugubre dans lequel la précarité elle-même serait le résultat de 30 ans de politique en faveur des entreprises et au détriment des travailleurs.
Si jusqu’ici nous avons interprété l’entrepreneuriat d’un point de vue rhétorique, il est peut-être possible de reconnaître une véritable énergie entrepreneuriale intrinsèque à la précarité. C’est ce que propose Michael Hardt et Antonio Negri dans Assembly, un essai qui étend la fameuse trilogie d’Empire. Un « entrepreneuriat de la multitude » rejette l’image de l’entrepreneur démiurge qui extrait l’innovation en orchestrant la coopération d’en haut. Au contraire, les auteurs privilégient l’administration autonome et horizontale de la société, évidente à leurs yeux dans la dynamique des nouveaux mouvements insurrectionnels. Dans les faits, la « marque » San Precario, une création collective et anonyme qui a émergé lors des premiers tumultes et née sous la bannière explicite du précariat, trahit pour le moins une tendance entrepreneuriale ascendante.
Représentation du San Precario lors d’une manifestation.
Photo de Samuele Ghilardi
Néanmoins, plus de 10 ans après la première apparition du saint, il n’y a toujours pas d’accord sur ce qu’est la mission fondamentale du précariat. Reprenons donc les principaux objectifs proposés par Alex Foti : un urbanisme durable, la justice climatique et le Revenu Universel — RU. Ironiquement, ce dernier objectif est partagé par certains des entrepreneurs États-Uniens vénérés mentionnés plus tôt. Selon eux, le RU favoriserait l’initiative individuelle et la volonté de prendre des risques, renforçant la société entrepreneuriale. Toutefois, s’il est mis en œuvre de manière inconsidérée, le revenu universel voudrait dire qu’une petite somme d’argent, si elle était offerte sans condition et distribuée à tous les citoyens, pourrait enterrer définitivement ce qu'il reste des aides sociales.
Ainsi, alors que nous attendons avec inquiétude ou trépidation l’avènement du RU, deux chemins semblent se dessiner : répliquer les mantras de l’entrepreneuriat précarisé ou tenter de faire émerger collectivement un précariat entrepreneurial. En ce sens, la perspective entreprécaire, comme les récits auxquels elle se réfère, est nécessairement flexible et adaptable, ou, pour reprendre le vocabulaire techno-entrepreneurial, est en « bêta permanente ». La marque de l’entreprécariat est d’être une chose et son contraire, elle incarne les contradictions individuelles et sociales déterminées par le conflit entre la précarité et l’entrepreneurialisme.
Traduction par Cédric Rossignol-Brunet en 2022 d’un extrait de Silvio Lorusso, Entreprecariat, Onomatopee, 2019.
Lien vers le livre de Silvio Lorusso.
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Comme le souligne Bröckling, l’idée que tout travailleur est en même temps un entrepreneur n’est pas nouvelle : dès 1907, l’économiste allemand Lujo Brentano affirmait que le travailleur est un entrepreneur car il est responsable de la vente de sa propre force de travail. Selon Bröckling, la nouveauté réside dans le fait qu’aujourd’hui, le travailleur est tenu d'agir de manière entrepreneuriale même dans le cadre du temps échangé contre un salaire. ↩
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On n’est pas nécessairement incité à constituer une entreprise mais à se comporter comme telle. En effet, comme le suggère Michel Foucault, « l’entreprise n’est pas seulement une institution » mais « une manière de se comporter dans le champ économique — sous la forme d’une compétition en termes de plans et de projets, et avec des objectifs, des tactiques, et ainsi de suite [...] ». ↩
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Une variante du terme est « entrepreneurism » qui, comme le dise Raymond, Kenneth et Rowland Kao auteurs du livre éponyme, « il ne s’agit pas seulement de gagner de l’argent, ni de créer une entreprise ou de posséder une petite entreprise —c’est un mode de vie, applicable à toutes les activités économiques humaines. » ↩
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Chicchi Federico & Anna Simone. La società della prestazione. Roma : Ediesse, 2017. ↩
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Sennett Richard. The Corrosion of Character : The Personal Consequences of Work in the New Capitalism. New York : W.W. Norton, 2015. ↩
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Le message de Lagarde était qu’en raison de la pauvreté et des inégalités excessives, la jeunesse de l’Union européenne prend du retard sur les autres générations et risque de ne pas pouvoir s’en sortir. ↩
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Foti Alex. General Theory of the Precariat: Great Recession, Revolution, Reaction. Amsterdam : Institute of Network Cultures, 2017. ↩
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L’inbox Zero est un système de gestion des e-mails formulé par le blogueur Merlin Mann en 2007. Celui-ci devint rapidement populaire parmi les entreprises de la tech comme Google et s’est transformé en une philosophie plus large de la productivité. Après quelques années Mann lui-même se révéla être un des plus fervent critique de l’Inbox Zero, réalisant qu’il sacrifiait la plupart de son temps familial afin d’apprendre aux autres les secrets de la productivité. Dans une interview donnée au journaliste Olivier Bukerman, Mann est arrivé à la conclusion que « l’e-mail n’est pas un problème technique. C’est un problème humain. Et vous ne pouvez pas réparer les gens ». ↩
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Le concept entrepreneurialiste de liberté est particulièrement lié à la rareté du temps. Quand le temps dont on dispose est considérable on peut se sentir libre de faire quelque chose, mais lorsque le temps vient à manquer on essaye alors de se libérer des demandes des autres. ↩
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Hardt Michael & Antonio Negri. Assembly, New York, N.Y.: Oxford University Press, 2017. ↩
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L’un de ces programmes italien est nommé SELFIEmployement, « destiné aux jeunes (de 21 à 29 ans), qui ont une forte aptitude au travail indépendant et à l’entrepreneuriat ainsi que le désir de se challenger eux-mêmes ». ↩